Olivier Cachin nous parle de son livre Rap in France

Le livre, Rap in France, qui vient de sortir aux éditions Castor Music, retrace l’émergence du rap en France sur la décennie 90. Préfacé par Orelsan, il est écrit par le spécialiste du genre, témoin de son époque en tant qu’activiste au sein des émissions Rapline, diffusées sur M6 de 1990 à 1993, et du, L’Affiche, le magazine des autres musiques, comme rédacteur en chef de 1988 à 2001. Pour cette véritable plongée aux origines du rap français, nous en avons profité pour interroger Olivier, collaborateur aussi de KR, sur cette fabuleuse histoire.

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KR : Comment définirais-tu cette histoire d’un point de vue culturel, sociétal et politique ?

Olivier Cachin : L’apparition d’un rap français de qualité professionnelle, qui a eu lieu dès le début de la décennie 1990, a permis de mesurer la distance existante entre la critique musicale parisienne et les artistes venus de banlieue. Et elle était énorme. Dès ses débuts et pendant très longtemps, un mépris de classe a entouré cette musique, vite déclarée non viable, puis vouée à disparaître comme une mode saisonnière. Il n’en a rien été mais force est de constater qu’un cordon sanitaire a été établi très vite autour des rappeurs français, Skyrock étant le premier média radio national à le briser, et c’était en 1995/1996.

Quels étaient les outils de production musicale d’un beatmaker dans la décennie 90 ?

Il fallait encore passer par les grands studios, et la confrontation entre les « vieux » ingénieurs du son et les DJ qui débarquaient avec leurs vinyles en disant « Voilà, mon instrument, c’est tel sample, de tel disque » n’a pas toujours été sans heurts. Les producteurs qui ont bossé avec NTM et leur DJ, DJ S, en savent quelque chose ! Un album aussi génial que Première Consultation de Doc Gynéco a été produit de façon classique avec des musiciens de session américains, c’est pour ça qu’il était au-dessus du reste en termes de son et de qualité artistique. 

Comment vois-tu l’évolution du rap en France jusqu’à aujourd’hui ?

Le rap français a gagné son pari, il est devenu une musique très populaire auprès de la jeunesse, et il remplit les salles. L’obligation d’engagement et de militantisme qui était la marque de fabrique des groupes d’antan a disparu, les groupes ont laissé la place à des artistes solo qui pour la plupart ont envie de succès commercial et proposent une musique plutôt basée sur l’entertainment, comme Jul ou Heuss L’Enfoiré. Ce qui n’empêche pas l’émergence de grands talents, d’ailleurs. C’est juste une mutation logique. 

Quels seraient pour toi les albums de rap les mieux produits ?

Difficile choix, forcément subjectif ! Je dirais Première Consultation de Gynéco, L’école du micro d’argent d’IAM, Suprême NTM de NTM et Ouest Side de Booba. Des classiques parus il y a un bout de temps, mais c’est le temps qui fait les classiques donc pour les albums plus récents, patience.

Quelle était l’ambiance à l’époque des années Rapline et celles de l’Affiche, le magazine des autres musiques dont tu t’occupais ?

Musicalement, l’ambiance était à la découverte, à l’innovation, il y avait toute l’excitation qui entoure la naissance d’un mouvement puissant culturellement, comme l’a été le rock en son temps aux USA et en Angleterre, ou le reggae en Jamaïque. Être en couverture de L’Affiche était l’équivalent d’atteindre le million de clics pour son clip de nos jours, un accomplissement, une fierté. Rapline a permis de voir ces artistes que certains ne connaissaient qu’à travers le son, sur Radio Nova ou quelques autres radios locales. Driver m’a dit plus tard que le soir où on a passé « Traitres », le clip « fait maison » de Ministère Ämer réalisé par Sylvain Bergère, il n’y avait personne dans les rues de Sarcelles ! Le ministère était enfin sur la carte du rap français. 

Vois-tu une corrélation entre l’évolution des styles au fil des décennies et les innovations technologiques ?

Oui bien sûr, la démocratisation des samplers a permis l’émergence de centaines de beatmakers, et le prix des samples a contribué à l’arrivée de productions originales et non plus basées sur des compositions musicales déjà existantes. Ce qui est dommage car ça a coupé le lien entre le passé et le présent du son urbain.

Quel regard portes-tu sur le son actuel du rap en France ?

Une surproduction affolante avec plus de 700 « projets », comme on dit maintenant (on ne parle plus d’albums), rien que pour l’année 2022 ! Mais du très bon au milieu de tout ça, avec Dosseh, Vald, Freeze Corleone, Alkpote, Keny Arkana et bien d’autres. Et n’oublions pas Bigflo & Oli : certains se sont moqués de leur succès, mais le récent freestyle de 11 minutes balancé par Oli à Planète Rap sur Skyrock était un moment d’anthologie, et je pèse mes mots.

Quelles sont tes récentes découvertes artistiques à conseiller à nos lecteurs ?

Il y a pas mal de nouveaux artistes intéressants, je pense à Aloïse Sauvage qui est entre rap et électronique, mais aussi SCH, au style très personnel, fan de storytelling. Sans oublier PNL, qui a changé les règles du game avec son album Le Monde Chico

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