BELVOIR, PASSEUR DE MÉMOIRE

Belvoir est un duo de pop électronique composé de Romain Vasset, membre de Frànçois & The Atlas Mountains et de François Le Roux, programmateur de musiques « curieuses » dans quelques salles parisiennes (Flèche d’or, Café de Paris), avec le Collectif Pieg. Fondé lors d’une colocation à Bristol, le duo a développé dans le berceau du trip-hop une réelle appétence pour les ambiances industrielles, les larsens et les sons triturés. Pour exprimer sa saine colère, Belvoir a fait le choix d’entremêler textes poético-politiques à des sonorités électroniques bourdonnantes, magnifiées notamment par un Prophet 6. Quatre ans après la sortie d’un premier EP, leur premier album Nouvel Anormal est désormais disponible. Rencontre.

Comment est né le projet Belvoir ?

Romain : Le projet est né début 2018 à Bristol. On vivait tous les deux dans une colloc’ à Belvoir Road, et on s’est lancé le challenge de faire un morceau par jour pendant une semaine. Ca a donné un ensemble de morceaux assez hétéroclite et à l’intérieur il y avait “Incendies” et “Môme” qui ont défini le son du groupe. On les a donc mis de côté et on a tiré le fil jusqu’à finir un premier EP sorti quelques mois plus tard en Novembre 2018 avec Another Record. On a fait une trentaine de dates en 2019 et on a ensuite pris le temps de construire ce nouvel album Nouvel Anormal qui nous a permis de comprendre un peu mieux la direction de notre musique, et nos manières de composer ensemble. 

Comment la ville de Bristol et son passé industriel a t-elle influencé votre musique ?

R : Il y a énormément d’éléments qui rendent cette ville particulière. Effectivement son passé industriel se ressent déjà beaucoup dans la scène. Il y a une couleur assez particulière à Bristol, qui vient du trip-hop, mais aussi du dub, du punk, mais aussi une grosse présence hippie. Il y a donc beaucoup de styles musicaux qui se mélangent, mais avec en même temps une grande bienveillance entre les gens qui composent la scène. La plupart de nos ami.e.s là-bas ont des petits boulots, assez précaires, et quasiment tout le monde fait de la musique, avec des gestes très radicaux parce que très peu d’espoir de pouvoir en vivre. Du coup, ils et elles s’expriment sans compromis. Et ça donne un climat très propice pour essayer des choses.

Dans le morceau « rue des vaincu.e.s » vous convoquez l’histoire avec des références à la mutinerie de la courtine, les grèves minières de Draveil réprimées par Clemenceau ou le 17 octobre 1961 ? Les luttes sociales et politiques, c’est une vraie source d’inspiration pour vous ?

François: La Rue des Vaincu.e.s est atypique car la mémoire qu’elle convoque et l’hommage qu’elle rend est relativement explicite. Cela me semblait important de ne pas user de formules poétiques afin que le message soit plus percutant. Dans les autres morceaux, si l’objet politique reste inchangé, c’est quasiment le processus inverse qui opère. On sous-entend la portée de notre message, parce qu’on a pas envie de faire les donneurs de leçon. On est témoins d’une époque qui nous dépasse et ça nous plait d’en parler au travers de nos chansons. C’est le regard du politique au quotidien qui aiguise et motive l’écriture, plus qu’une vision passéiste de la lutte sociale.

On peut dire que la société actuelle est une bonne source d’inspiration pour vos chansons. Qu’est-ce qui vous met le plus en colère aujourd’hui ?

F: Je ne dirais pas que la colère est le sentiment qui caractérise le plus notre démarche. Encore une fois, on ne fait que mettre en miroir des observations qui ponctuent notre quotidien. Bon, de toi à moi, je trouve ce qu’on observe foncièrement dégueulasse, mais j’essaie d’en parler avec suffisamment de distance pour rendre le discours audible. Ça demande une certaine forme d’abnégation je te l’accorde, mais je préfère garder mes colères, par pudeur sans doute, pour la rue. Romain ?
R : A peu près tout. On est plutôt dans une période de l’histoire ou la question est plutôt, comment être en joie ? A mon sens, c’est de plus en plus courageux de faire l’effort d’être heureux. Et pour ça il faut parfois crier sa colère en essayant de la transformer en joie, ou du moins en moteur de vie. Il faut faire attention à ne pas tomber dans le dépit. 

Qui fait quoi dans Belvoir ? Qui écrit les textes et qui compose ?

R : C’est un allez-retour. François commence souvent avec les paroles et une mélodie. On la confronte avec une ligne de basse et un groove. Puis on dessine ensemble la structure du morceau. Je fais ensuite la prod avec François pas loin derrière. 

F: Tout à fait ! C’est un processus de composition à 4 mains, où chacun est à son meilleur endroit mais avec la porosité nécessaire pour échanger en continuel sur nos pratiques respectives.

Sur une vidéo d’un live, on aperçoit un Korg MS-20, un Prophet-5, ou une MPC ? C’est quoi votre Setup de base ?

R : Il n’y a pas de setup de base. Au début on composait avec ce qu’on avait sous la main, c’est-à-dire un ordi, un organelle, et la basse du colloc’ qui était bien dégueu. 
Ce n’est que récemment que nous avons a enfin trouvé le matériel qui correspond au projet. Il y a donc en effet une MPC 1000 qui sert de séquenceur et qui envoie les rythmiques. Elle pilote une SP404 qui contient tous les samples (il y en a beaucoup), ainsi que nos deux MS20 qui sont parfois joués, parfois séquencés. Et puis il y a notre arme fatale, le prophet 6 de François qui nous réserve encore beaucoup de surprises. Et enfin ma basse, une vieille Eko, qui fait des larsens très facilement et qui grince au bon endroit. 

Vous jouez beaucoup avec les effets, notamment avec la disto au niveau de la voix. C’est quoi le secret du son Belvoir ?

R : Il n’y a pas vraiment de secret. C’est l’alliage de nos deux personnalités qui fait notre son. François avec ses textes puissants, ses mélodies, son interprétation un peu hargneuse et en même temps folk. Et puis ensuite la manière dont je m’amuse à détruire les sons, assumer les glitchs, utiliser des field recording dégueus faits à l’iphone. Je ne m’attache pas du tout à la qualité des sons mais juste à ce qu’ils provoquent, une erreur amenant à une nouvelle idée. 

Quels sont vos prochains projets ?

R : on veut tourner le plus possible. On a joué aux Bars en Trans en décembre et au festival Mofo le 28 janvier. On se déplace un peu partout en France. On ne va pas tarder aussi à composer d’autres morceaux. Il y en a déjà quelques-uns qui attendent leur heure sur nos disques durs. 

Prochaine date : le 4 mai 2023 à West Rock, Cognac (16)

[Photos ©Raphaëlle Giaretto]


Nouvel Anormal
(Another Record, Cheptel Records)


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